Nicolas Sarkozy
fixe comme objectif à Martin Hirsch, « Haut commissaire aux Solidarités
actives contre la pauvreté », de réduire la
pauvreté « d’au moins un tiers en cinq ans », dans sa lettre de mission datée du 9 juillet 2007.
Cette
proposition est attrayante au premier abord. La pauvreté n’est pas une
condition que l’on souhaite voir largement répartie a priori. On
peut douter de l’efficacité et de la légitimité de l’intervention de
l’Etat en la matière, ou trouver incongru qu’un gouvernement se fixe un
tel objectif, qui risque de lui faire consacrer des
moyens à un résultat numérique qui ne doit pourtant être qu’un moyen
en vue du bien-être, et non un but en soi. Soit. Mais quand on parle de
chiffres, il faut être précis sur ce que l’on mesure.
Que signifie donc cet objectif ? Qu’est-ce que cette « pauvreté »
qu’il faudrait réduire d’un tiers ?
Le début de la
lettre fait référence à « 7 millions de personnes [vivant] en France
sous le seuil de pauvreté ». On peut donc
imaginer (notez que c’est déjà une hypothèse, ce qui est gênant pour
un objectif qui se veut précis) qu’il s’agit de réduire le nombre de
personnes vivant sous le seuil de pauvreté.
Pourtant, plus
simplement, réduire la pauvreté, c’est augmenter le bien-être ;
l’objectif aurait pu être de s’assurer que chaque individu voie
son bien-être augmenter. Mais c’est impossible à mesurer par l’Etat,
à moins d’une intrusion manifeste dans les choix de vie de chacun,
puisqu’il faudrait alors s’intéresser aux individus, et à
la valeur subjective qu’ils donnent à chaque bien, à chaque
événement, à chaque expérience. Il est bien plus facile pour l’Etat de
s’intéresser à des masses.
Revenons donc à notre « objectif chiffré » : qu’est-ce donc que ce seuil de pauvreté ? Celui de l’ONU, 1$ par jour ?
Je ne crois pas que sept millions de personnes soient concernées en France.
Pour arriver à
ce chiffre, la définition doit être celle qui prend comme seuil 60% du
revenu médian – le revenu médian est revenu de la
personne qui gagne plus que 50 % de la population, et moins que les
50 % restants. Sont considérés comme pauvres ceux dont le revenu est
inférieur à 60% du revenu médian. Voir sur le site de
l’INSEE : Nombre et taux de
personnes vivant sous le seuil de pauvreté selon leur âge.
Cette
définition est donc relative ; et elle conduit à mesurer plutôt les inégalités que la pauvreté. Si tous les revenus croissent de la même
façon, la pauvreté ainsi définie ne baisse pas. Pourtant, le
bien-être de chacun s’est accru. D’où cette fausse indignation dans
la lettre de Nicolas Sarkozy : « Depuis plus de 20 ans, la proportion de
personnes pauvres dans la population n'a
quasiment pas diminué ». Cela ne signifie pas que le bien-être ne
s’est pas accru.
En revanche, si
le bien-être de tous baisse, mais qu’il baisse plus pour 90% de la
population que pour les 10% qui ont les revenus les plus
faibles, la pauvreté ainsi définie diminue. Pourtant, le bien-être
de chacun a diminué. Or il est facile d’agir ainsi. Et
si l’on refuse qu’il y ait des riches et des pauvres, il n’y
aura plus que des pauvres. En effet, pour supprimer les inégalités,
il faut prendre aux uns pour donner aux autres. L’intérêt qu’il y a à
créer diminue alors d’autant. Ainsi, en luttant contre
les différences, on appauvrit tout le monde, puisque certains de
ceux qui étaient capables de créer plus que les autres renoncent à le
faire. Cette stratégie est donc non seulement condamnable
sur le principe (s’arroger le droit de répartir ce que d’autres ont
produit) mais aussi inefficace en pratique.
Que choisir :
la croissance du bien-être pour chacun, quitte à ce qu’il s’accroisse
plus pour certains que pour d’autres, ou le
nivellement avec diminution du bien-être global ? S’il est bien
évident que ceux qui produisent le plus perdraient à la diminution des
différences de revenus, rien ne dit que les plus
pauvres y gagneraient, puisque moins de richesses seraient crées :
mieux vaut un quart de trois cents euros que la moitié de cent.
Cependant, le
principe du Revenu de Solidarité Active, qui entend se substituer à
plusieurs minima sociaux, et affiche l’ambition de faire que
« toute heure travaillée signifie un gain de revenu » (Martin
Hirsch, selon Wikipédia),
n’est pas très éloigné, dans ses objectifs, du revenu universel défendu
par certains libéraux (et par Alternative Libérale). La différence
réside dans
l’utilisation d’un tel outil pour contrôler la population : pour AL, le « revenu de liberté » est le même pour tous, sans condition. Au contraire, le projet gouvernemental cherche
à s’adapter
aux situations particulières (ce qui est évidemment impossible pour
un dispositif étatique). Cela conduira nécessairement à l’introduction
de nombreux critères de calculs, qui permettront de
dicter à l’individu quels « choix » il a intérêt à faire selon la
volonté et les valeurs portées par gouvernement… Une vraie différence de
principe.
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