La même impression, le même regret me viennent régulièrement à l’esprit lorsque je vois les titres de la
rubrique « Politique » des quotidiens et hebdomadaires les plus diffusés : ce sont les personnes qui sont mises en avant, et non les idées. Pourquoi cet état de
fait ?
Notre système politique est très personnalisé, tout particulièrement en ce qui concerne la tête de
l’Etat : le Président de la République a, à lui seul, de très nombreux pouvoirs.
On ne le perçoit pas toujours, parce que ces pouvoirs sont souvent indirects ; mais il contrôle le
gouvernement, donc l’exécutif, puisqu’il nomme le Premier Ministre. Il a un pouvoir de pression important sur les députés, et donc sur le pouvoir législatif,
puisqu’il peut dissoudre
l’Assemblée Nationale, ce qui force les députés à conduire une
nouvelle campagne, à laquelle ils n’étaient pas préparés ; sans compter
que son gouvernement peut éviter le débat parlementaire
sur une loi donnée en utilisant la procédure prévue par l’article
49-3 de la Constitution, qui permet de faire adopter un texte de loi
sans vote ni amendements. Par ailleurs, en tant que
Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, et disposant du
droit de grâce, il intervient, indirectement toujours, dans le domaine judiciaire.
Et cette personne, si puissante, n’est pas responsable devant ses pairs,
n’est pas soumis à une
pression constante, qui la pousserait à peser longuement chaque
décision. Non, cette personne est désignée directement par le peuple, ce
qui la place encore plus au-dessus des autres, et
justifie le fait qu’elle impose par la suite sa volonté, avec une
justification imparable en démocratie : « j’ai la légitimité issue du
peuple ». Avec cette impression de ne rien
devoir à personne, ou presque, d’avoir réussi par soi-même, et
d’avoir été désigné pour soi-même. Et, en ce qui concerne ce dernier
point, dont il ne faut pas négliger l’impact, aucune réforme
des pouvoirs directs du Président n’y changera quoi que ce soit.
Pourtant, l’élection telle qu’elle est n’aboutit pas à un Président représentant une large majorité de
Français, à un Président consensuel : environ 20 à 30 % des
votants le désignent au premier tour, et seulement 50 à 55 % au second
tour (exception faite du cas particulier de 2002).
Finalement, c’est peu pour se sentir investi par l’ensemble du
peuple.
Une solution, brutale, serait de renoncer à l’élection au suffrage universel du Président de la
République. C’est cette idée qui, la première, m’est apparue
pour répondre à ce problème. Mais il semble que les Français sont très
attachés à cette élection, et elle crée un lien important
entre le peuple et ce représentant si particulier.
Je propose donc plutôt d’inverser le calendrier, de désigner le Président de la République après les
députés ; de choisir, en somme, quel Président on souhaite pour
diriger cette majorité, plutôt que de donner automatiquement au
Président sa majorité.
En effet, avec le calendrier tel qu’il est, l’élection présidentielle implique le résultat des
législatives : il est logique de donner au Président élu une majorité qui lui permette d’agir. C’est presque automatique.
Or, dans l’élection présidentielle, le choix de la personne est essentiel. L’élire après le Parlement
aurait du sens : il donnerait la tonalité voulue par le peuple pour la mise en pratique des idées qui ont émané de l’élection législative.
Et les députés auraient plus de légitimité
pour se faire entendre du Président de la République. Cela aurait
bien plus de sens que de valider le résultat de l’élection
présidentielle par l’élection législative qui suit.
Il est trop tard pour faire ce changement en 2007. Mais ce changement est très accessible pour
2012.
En attendant, d’ici là, il faudra s’employer à limiter l’intervention du chef de l’Etat au pouvoir
exécutif ; ces réformes, elles aussi nécessaires, pourront être mises en place dans la période 2007-2012.
Par ce changement tout simple de calendrier, l’élection présidentielle pourrait alors être légitiment
le lieu d’un débat entre personnes, sans occulter le débat
d’idées, qui aurait eu lieu juste avant, là où il est, lui, totalement
légitime, et où il peut vraiment prendre toute sa place, dans
sa diversité et sa complexité : lors de l’élection législative.